3ème place du concours 12
Je n’avais jamais compris comment les gens pouvait se satisfaire de prendre les glaçons avec une cuiller alors qu’il possédait un merveilleux attrape-glaçon. Je leur avais été offert il y a déjà presque cinq ans, et à part ce premier jour, ou plutôt ce premier soir ; nous étions en mai, c’était l’anniversaire de Jean-Claude, le maitre de maison ; je n’avais attrapé aucun glaçon. A mon grand regret.
A coté d’une cuiller à soupe j’étais, soyons honnête, une pure prouesse technologique. Avec mon système de bras modulable, d’auto-ancrage et d’ultra-précision, il suffisait d’appuyer sur un simple bouton pour attraper un glaçon dans un grand bol de glaçon et le rejeter dans un petit verre de Ricard. Je suis une merveille de luxe.
Les jours s’écoulaient misérablement dans le tiroir buffet du salon. Le buffet du salon est un enfer pour objets oubliés, ou plutôt leur purgatoire. En attendant la poubelle, les décharges, les incinérateurs. J’y étais rangé depuis presque deux ans ; après trois années sur le meuble de la cuisine ils avaient décidé de m’y jeter en même temps que le tire-bouchon électrique et le presse agrume à moteur à explosion. C’était le grand rangement de printemps deux mille quatre.
Hier, à trois heures et quart du matin, le destin a frappé à la porte du buffet. Le salut m’est venu en ce soir troublé. Depuis le début de la soirée nous entendions des cris et du bruit dans les pièces, mais nous ne pouvions rien voir de ce qui se passait. La peur au ventre, nous étions enfouis au milieu des serviettes offertes pour le mariage de Jean-Claude et Mylène en mille neuf cent soixante douze.
Soudain, le tiroir du buffet s’ouvre et c’est un jeune homme qui passe la tête par le buffet, il a les yeux rouges, il ne tient debout qu’accouder à une chaise qu’il promène devant lui. Il est ivre, il admire les objets merveilleux du placard. Il joue un instant avec le tire-bouchon électrique et essaye de se relever, il se tape la tête dans le plafond du buffet et semble un instant perdu dans ses pensées. C’est là que je joue mon va-tout ! Je me jette hors de ma cachette et je le regarde dans les yeux. Il me fixe un instant et un immense sourire s’abat sur mon visage !
« - Waaah trop bien ton truc ! On dirait un truc pour arracher les yeux dans un film de Kubrick où y aurait des nazis !
- C’est un truc pour les glaçons ! C’est à mes parents. » Cette voix c’est le fils de Mylène et Jean-Claude. Il ajoute : « Vas-y amène le moi ! Tu vas voir c’est trop cool ! »
Et cette soirée fut ma plus grande soirée ! J’ai ramassé des glaçons mais aussi des olives, des morceaux de sucre, des capsules de bière, des petits cailloux, j’ai même failli arracher les yeux d’une ou deux personnes !
(C'est ça ! Et c'est tiré d'une histoire vraie.)