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 Les Larmes du Pierrot Blanc (Premier Concours)

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Eskhar Hygan
Duvet Soyeux
Eskhar Hygan


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Date d'inscription : 25/04/2007

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MessageSujet: Les Larmes du Pierrot Blanc (Premier Concours)   Les Larmes du Pierrot Blanc (Premier Concours) Icon_minitimeLun 14 Mai - 11:34

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L’endroit était sombre et exiguë, filandreux. Il battait en rythme, vite, toujours plus vite. Du plus profond de ces entrailles, de fines gouttelettes frétillaient, attendant avec impatience que la gangue de leur prison ne se fende.

Ce qui ne tarda pas à se produire sous la pression de leur action conjuguée. Aussitôt, les perles sombres, par milliers, s’échappèrent par la brèche, et comme un seul homme, l’armée liquide s’écoula à flot, longeant l’écorce des ormes géants qui les avaient vu naître, s’abattant comme la pluie à l’assaut des cristaux immaculés qui recouvraient la nature environnante de leur pellicule cotonneuse.

La neige. Le sang. Un contraste établi, comme une mise en garde. Rongeant la fragile protection, les gouttes devenues ruissellements s’engouffraient dans la terre, pétrifiant toute vie sur leur passage. Et l’ombre, petit à petit, qui s’étendait, donnant plus de force encore aux puissances malveillantes qui dévoraient ce qui appartenait désormais au passé.

Dans ce crépuscule grandissant, une frêle silhouette se hâtait, clopinant laborieusement tandis qu’elle traînait un fardeau tout emmailloté qui faisait la moitié de sa taille. Elle fuyait l’obscurité grandissante, tentant de se maintenir dans les rémanences de l’astre diurne. Mais sa taille de poupée la rendait désespérément minuscule face aux géants de bois qui s’étaient mis à pleurer ce sang acide et noir qui transformait tout en pierre.

La fin du Royaume était imminente. La roue du temps s’arrêtait de tourner. Il lui fallait franchir les frontières de cet univers sans tarder sous peine d’y rester figé pour l’éternité.

Au plus profond de son être, le petit pierrot de bois savait que la mort l’attendait. Pourtant, il força un peu plus ses pauvres jambes aux articulations usées par les décennies. Tandis qu’autour de lui, la neige perdait de sa consistance pour ne plus devenir qu’un basalte friable, lui s’en allait remplir sa dernière mission.

Le pantin au visage peint de blanc s’arrêta un instant pour s’enquérir de l’état de sa précieuse cargaison. Là, sur une civière de fortune reposait un tas de tissu informe qui n’avait plus bougé depuis plusieurs minutes déjà. Ses yeux de verre roulant dans leur orbite en signe d’inquiétude, il se pencha et d’une main usée où manquait plusieurs doigts, souleva un pan de l’étoffe, dévoilant deux grosses perles d’ambre larmoyantes, entourées par des joues et l’esquisse d’un nez rougissant de froid.

Le pierrot laissa retomber ses paupières de soulagement. Le bébé était toujours vivant, et dans son âme de marionnette, cela signifiait que l’espoir perdurait encore.

Malgré ses membres qui faiblissaient à chaque pas l’éloignant du château, il reprit son chemin, s’enfonçant dans la neige. Il sentait la vie qui animait artificiellement son corps s’échapper lentement, mais ne pouvait se résoudre à rentrer au berceau qui l’avait vu naître. L’influence magique disparaissait en même temps que le royaume, et il s’était résigné. Néanmoins, il préférait le sacrifice à l’attente. Car si aucune alternative ne s’offrait pour lui, il avait le pouvoir d’en offrir une à quelqu’un d’autre. C’est pourquoi il devait sauver la petite princesse, pour qu’un jour elle puisse ramener le royaume à sa gloire d’antan.

Même s’il n’avait jamais quitté l’enceinte du château, ses oreilles avaient eu vent de nombreuses rumeurs, et l’une d’elle en particulier racontait qu’au-delà des frontières de la forêt hivernale existait un univers peuplé d’êtres que l’on nommait Humains. De nombreux voyageurs en rapportaient les histoires, et le pierrot lui-même s’était évertué à les mettre en scène pour les Enfants de la cour. Et un jour, son ami, chasseur personnel du Roi, lui en avait confirmé l’existence, expliquant que lors d’un de ses vols matinaux, il avait pénétré jusqu’au cœur des Brumes qui bordaient l’extérieur de la forêt, et s’était trouvé arrêté par un étrange portail.

Le petit Pierrot ignorait à quelle distance se trouvait ce portail, ni même s’il serait ouvert, mais espérait au moins réussir à atteindre la lisière à temps. Son corps pourrait s’éteindre après, son ami Chouette serait là pour prendre la relève. Quelque part au centre de son torse de bois, il n’y avait que la confiance, la certitude que même si la bataille faisait rage en arrière, et que même si les vautours ennemis seraient une épreuve rude pour le vieux rapace qui n’avait plus sa vigueur d’antan, il serait au rendez-vous.

Les Larmes du Pierrot Blanc (Premier Concours) 8969655


Tout allait bien, c’était la seule certitude à laquelle son cœur pouvait se raccrocher, la seule que ses maîtres lui aient jamais enseignée. Le doute n’existait pas pour une poupée.
Et déjà la brume se levait, comme une confirmation naturelle à son optimisme, et au loin une lueur signifiait la sortie.
Le pantin émit un ricanement joyeux à l’adresse du bébé. Cela sonnait comme un rire clair à ses oreilles, et malgré les larmes dessinées sur sa joue de pierrot blanc, il était persuadé d’avoir été crée pour rire, de ce gloussement étrange et agaçant qui effrayait les enfants bien qu’il ne traduisît qu’un sentiment heureux et dénué de méchanceté à l’origine.

Se retournant, prêt à gratifier la petite trogne d’un sourire, il se figea soudainement à la vue qui s’offrait devant eux. Les arbres agonisants, effondrés dans des flots de sang, commençaient à se pétrifier à une allure vertigineuse, et l’ombre semblait courir à toute allure, élançant de multiples bras dans leur direction, prête à les enserrer dans l’entrelacs de ses ténèbres comme une mère protectrice des plus rancunières.
L’Obscurité, agonisante après la guerre manichéenne, n’avait vraisemblablement pas supporté la Défaite, et le Royaume s’était effondré sur lui-même, se consumant sous la force Lumineuse. Seulement, tout se passait plus vite que prévu. Le pantin se précipita en direction de la lueur, s’enfonçant plus avant dans la brume avec son fardeau à sa suite. Les gouttes noires s’écrasaient en cadence tout autour d’eux, mais le pantin ne ralentissait pas, et leur petit cortège semblait étrangement épargnée.

Il était à cinquante mètres de la sortie, quand sa première articulation céda. Trébuchant sur le vide, il réalisa que sa jambe avait lâché. Sa conscience commençait à le quitter, il n’avait plus de contrôle sur ses membres qui se désassemblaient. Portant son regard brouillé vers la lisière, il continua à se traîner tant qu’il put. Mais la lumière ne se rapprochait plus, et la pluie sale se densifiait. Lorsque la première perle de sang s’écrasa sur l’étoffe qui emmaillotait la princesse, le pierrot fut pris de panique et la recouvra de son corps pour la protéger.

Il ignorait quoi faire. La liberté se dressait, si proche et pourtant inaccessible. Il ne restait plus qu’à attendre la chouette. Elle ne tarderait plus, et aurait tôt fait de percevoir leur emplacement pour venir secourir le bébé. Il devait donc se concentrer sur sa protection.

Ainsi s’écoula l’heure suivante, sans qu’aucun bruissement d’ailes ne daigne déranger la rumeur ambiante.

Allongé en tant que bouclier, la moitié de son corps maintenant pétrifiée, le pantin ressentit, pour la première fois, l’incompréhension. A vrai dire, cela se produisait régulièrement, qu’il ne comprenne pas les paroles qu’on lui adressait dans la totalité, mais il s’agissait à présent d’une incompréhension différente, sur laquelle son esprit mécanique n’arrivait pas à mettre de nom : l’incertitude.
Or le doute ne devrait pas exister pour une poupée, on ne les forgeait pas ainsi. Les poupées n’étaient pour eux que des objets sans âme, destinées à un divertissement éphémère. Le pierrot aurait dû craindre de finir comme toutes ses congénères de marionnettes, mais il ignorait aussi le sens de la peur, et lorsque le Roi fut lassé de son bouffon mécanique et qu’il se trouva relégué au rang de jouet pour les enfants, il accepta son sort et rigola à nouveau comme avant pour la joie de ses possesseurs. Et lorsque après plusieurs décennies, eux aussi le délaissèrent, il accepta son sort et reposa sans but, plongé dans l’obscurité d’un coffre, ses pauvres membres usés et sa peinture, dont il était si fier, ternie et craquelée.

Le pantin de bois n’était pas ambitieux. Il ne désirait pas la gloire de mourir en héros et n’en saisissait même pas la notion. Il s’était juste contenté de préserver celle qui avait tendu ses petites mains vers lui, lui parmi tous les autres jouets inanimés du coffre. Il souhaitait juste que la petite fille qui avait su le sauver, et inonder à nouveau le monde de couleurs pour lui, puisse aussi profiter un jour de toutes les merveilles qu’il avait à offrir.
Et en cet instant où son âme entière sombrait dans les ténèbres, le pierrot réalisa à quel point il craignait l’obscurité, cette obscurité qui l’avait baigné de si nombreuses années durant, alors que les Hommes l’avaient abandonné, et pour la toute première fois, une autre émotion fit surface du plus profond de son torse en bois d’orme : la rancœur et le regret.

Il aurait tant voulu être utile.

Le nourrisson ouvrit les yeux, intrigué par l’évaporation soudaine de l’aura bienveillante de son protecteur. Ses petites mains gelées se tendirent en direction du visage de pierre qui lui faisait rempart contre la furie des éléments, et tracèrent naturellement les deux larmes gravées sur la joue blanche.
Ce pierrot blanc à l’air si triste était le seul du Royaume. Les grandes personnes lui avaient montré tant de marionnettes, toutes plus souriantes les unes que les autres, pour la réconforter quand elle pleurait. Mais elle n’aimait pas les coquilles vides, ce qui était vide l’effrayait.
Et en ce moment, le plein était en train de mourir tout autour d’elle, absorbé par un vide horrible. La petite princesse, qui n’avait plus pleuré depuis le jour où le petit pantin doté d’une âme lui avait souri, remplissant son monde de rires enfantins, se sentit désemparée maintenant que la solitude était revenue.
Elle sanglota jusqu’à l’épuisement, tandis que la mort se répandait.

Planant dans les ombres grandissantes du crépuscule presque achevé, un rapace à l’envergure démesurée forçait l’allure, négligeant la douleur lancinante qui lui déchirait le flanc. Le Royaume était définitivement perdu. Il avait lutté de toutes ses forces, mais contre un ennemi si nombreux, ses pauvres serres n’étaient guère de taille. S’il n’avait tenu qu’à lui, périr au combat eût satisfait son orgueil de soldat, mais une promesse le liait, et il avait déjà accumulé trop de retard. Scrutant les décombres de ce qui s’élevait autrefois sous le nom de l’imposante Forêt Hivernale, la chouette argentée s’élança dans la brume avant de piquer en direction de la cime effondrée des ormes gigantesques.

Au plus profond du sous-bois, l’Ombre régnait déjà. Il ne restait que pierre. Non loin de la lisière, le chasseur ailé s’écrasa en catastrophe, son aile brisée ne pouvant le porter plus avant. Il aperçut alors un étrange monticule rocheux qui se dressait, à l’image d’un pantin de bois penché sur un couffin. Mais le Sang des Géants avait déjà fait son œuvre, et pétrifié jusqu’à son propre être. Le temps s’était arrêté, et l’horloge ne tarderait plus à se démantibuler complètement. La chouette, pleine de regret, s’approcha un instant pour rendre honneur à son ami de longue date, avant de s’envoler en direction du portail instable.

Seul un gazouillement plaintif le retint, et ouvrant de larges yeux, il s’approcha.
Là, dissimulé à l’abris sous les pans de roche qui formaient un berceau, un nourrisson aux yeux d’or gigotait.

Etant le rapace royal qu'il était, bien qu’il n’eût plus son prestige d’autrefois auprès de la cour, la chouette reconnut immédiatement la petite Princesse, dernière tenante du titre. Devant ses yeux, la dernière survivante du Royaume des Enfers venait de s’extirper de sa prison pour se mouvoir à quatre pattes en sa direction.

Un bébé en qui reposaient désormais tous les espoirs de leur civilisation annihilée.

Un bébé qu’il emmènerait vers le monde des Humains pour qu’elle y soit élevée et perdure, de par sa simple existence, les vestiges de leur gloire passée.
Un bébé que les Hommes connaitraient un jour comme la Mère de tous les Démons.


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