La pêche avait été une nouvelle fois miraculeuse ce jour là ; Jésus et André avaient rempli la barque de magnifiques poissons. Ils pêchaient depuis le petit matin, relevant régulièrement leur ligne, et une nouvelle prise pour les repas à venir. Jésus avait prévu d’organiser un grand repas dans ces prochains jours, il sentait la fin se glisser en lui. Comme si l’aube lui avait révélé un terrible secret il semblait distant, et très peu loquace, bien que la pêche avec André ait toujours été un de ses passe-temps préférés.
« - Jésus, on va manquer de pain, est-ce-que tu pourrais revenir un moment ! Et puis il y a Judas qui veut te voir !
- J’arrive Simon-Pierre, je vais le rejoindre, mais d’abord viens prendre ma place, tu pêcheras avec André. »
Simon-Pierre se tenait sur la rive, à une centaine de mètres, il semblait paralysé par sa dernière mauvaise expérience aquatique.
« - Euh Jésus, vous voulez pas rapprocher un peu la barque ? Je le sens pas trop là.
- Bordel Simon ! jura André avant de se reprendre ; il fit un signe de croix. Tu vas pas recommencer !
- C’est bon, j’arrive ! »
Jésus ne dit rien, il avait posé sa canne à pêche, et se tenait droit dans la barque, les bras croisés, il regardait Simon-Pierre enlever ses sandales et relever sa tunique. Jésus soupira.
« - Aie confiance en moi mon fils, s’il te plaît, juste une fois. »
Simon-Pierre regardait droit vers Jésus, il essayait de ne penser qu’à des jolies choses, d’Amour du prochain, de partage, de bonté. Il fit quelques mètres sur l’eau, ses pieds se posaient sur l’onde calme comme sur les sables du désert. Il fit la moitié du trajet lorsqu’un poisson étrange, au sourire démoniaque, vint se frayer un chemin sous l’eau. Il faisait des petits bonds mesquins et éclaboussait les pieds de l’apôtre dubitatif. Jésus remarqua avec inquiétude le poisson aux reflets sombres.
André remarqua que le poisson parlait avec Simon-Pierre, mais il ne pouvait l’entendre. Il n’osa troubler le silence de cathédrale qui régnait sur la barque.
« - Qui es-tu pour glisser sur l’eau tel un serpent ? Qui est cet homme que tu suis ainsi ? soufflait le poisson à l’esprit de Simon-Pierre. »
Faible était la confiance de l’apôtre en la toute puissance du Seigneur. Il s’arrêta, et soudain, il fut paralysé de terreur, il n’osa plus avancer. Chaque fois c’est la même chose se dit Jésus, qu’ai-je confié l’avenir de mon nom à un homme qui ne croit que si peu en moi. Jésus ne pouvait laisser ainsi le premier des Apôtres s’enfoncer dans les eaux noires du lac. L’eau lui montait jusqu’au genou, il était comme paralysé, son esprit ne parvenait plus à trouver la Voie du Seigneur. Le poisson démoniaque sautillait toujours autour du pauvre Simon-Pierre. Jésus reprit sa canne à pêche dans sa main droite, il retint la corde du moulinet avec son index et jeta le plus fort qu’il put sa ligne vers le poisson. Le lancer était parfait, l’hameçon acéré pénétra dans le dos du poisson.
« - Va-t-en Satan ! Laisse cet homme juste et bon ! »
Le poisson démoniaque voulut s’échapper mais il était prisonnier de la ligne de Jésus. Ce dernier commença à le remonter doucement.
« - Relève-toi Simon-Pierre. Relève-toi et marche vers moi. »
Cette fois, l’apôtre parvint à repousser la tentation, il sentit l’Amour du Seigneur l’élever des ombres sombres, il se remit à marcher, doucement, mais avec sûreté, vers la barque de Jésus et d’André. Jésus continuait à mouliner, il remontait avec difficulté le combattif poisson démoniaque. La ligne, tendue, claqua. Le poisson s’échappa et disparut un instant.
Simon-Pierre avait presque rejoint la barque. Jésus, cette fois, lui tendit la main pour l’aider à monter à bord. Dans son cœur, le premier apôtre ressentait de la fierté d’avoir enfin réussi à traverser, et sa foi en le Seigneur en était redoublée.
Ils étaient tous les trois sur la barque, réunis par le silence. Aucun des apôtres n’osait le rompre de peur de troubler Jésus. Soudain un rire se fit entendre, le poisson sautillait à nouveau, autour de la barque, il revêtait un visage humain.
« - Jésus, tes efforts sont vains, aucun homme ne peut porter seul les péchés de tous les autres ; tu vas mourir en vain. »
Le fils du Seigneur ne l’écouta pas un instant de plus ; d’un geste il saisit la canne d’André, relança la ligne et déchira le flanc du Poisson-Satan. Ce dernier se vida rapidement de son sang et disparut dans les profondeurs.
« - Retourne dans les limbes Satan ! Il se tourna vers ses apôtres. Bon les gars, j’vais retourner au camp préparer le pain, j’vous laisse finir la pêche, vos cœurs sont purs, ne vous inquiétez plus de cette créature. N’écoutez que ma Voix, et suivez le Chemin du Seigneur. Soyez plus fort que le Mal.»