Réverence.

Elsa,

J’aurais aimé ne jamais avoir à t’écrire ces mots. J’ai tout fait, pourtant, pour ne pas en arriver là, pour éviter cette extrémité, mais je suis las, tu sais, de cette vie.

Hier encore, rappelle-toi, nous fermions les yeux sur le monde autour de nous ; je dis hier, mais cela durait depuis toujours. J’étais le seul sans talent, toi et ton frère étiez si magnifiques, les couteaux se plantaient autour de ton visage, et déjà, pour toi, je tremblais. Je ne cesse plus de trembler ce matin, alors que ces souvenirs m’envahissent. Tes parents sautaient sur des chevaux blancs, et mon père, ivre, chantait, caché sous la poudre blanche et son nez rouge. J’ai toujours rêvé d’avoir cette moustache brillante qui rendait grandiose le magicien, mais je le regardais juste avant d’entrer en scène, cramponné à un poney, prêt à pousser mon père dans une bassine. J’avais ce rôle ridicule, qui jamais, je le pensais, n’aurait pu te séduire.

Je n’osais espérer ces années que tu m’as offert, ces huit ans de tour d’Europe, ensemble. J’avais finalement trouvé le sourire que tu aimais, mais sous le fond de teint, tu n’as jamais su lire les mots gravés au couteau. J’ai essayé d’oublier le trapéziste, je t’ai pardonné, et je t’ai aimé encore. J’ai continué d’être ce clown qui te faisait rire, et je t’épargne les méprisables effets sur les larmes qui coulent sous le masque. A chaque spectacle, j’enfouissais cette brume sombre qu’est devenu ma passion, toujours plus profond sous les applaudissements. Je me suis donné à en mourir au spectacle, et les projecteurs n’ont fait que briller plus fort, et sous ma cape et mon chapeau, j’ai fini de fondre, il ne reste rien de mes folies. Tu as fini de détruire, sans même t’en rendre compte, tout ce qui faisait de moi, une petite part de nous.

J’aurais dû m’éveiller plus tôt, mais c’est aujourd’hui que j’ai ouvert les yeux. J’ai enfin effacé ce fard de mon visage. Il ne reste rien en dessous, sache le, et c’est ainsi que se termine une carrière, oubliée de pères en fils. La vérité brillait ce matin, sous la pluie fine de septembre. Cet été était de trop. Je m’en vais, vois-tu ; je m’en vais, et tu ne me regretteras pas.

Cette ville a tout changé, j’ai quitté la troupe et j’ai vécu, une nuit ; la première d’une vie. Je m’en vais, et c’est ainsi que tout fini. J’ai trouvé un travail de pompiste, un peu à l’écart de la ville, je ne gagnerai pas mieux ma vie, mais je ne serai plus un misérable personnage. Je ne suis pas un clown, je n’ai jamais été un putain de clown, vous avez fait de moi cette chose, vous m’avez forcé à faire ces pitreries ; je les ai faites, j’ai brillé de mon ridicule, et je vous méprise, je vous hais, je te hais.

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